Comment choisit-on un lieu à visiter ? Il y a de nombreuses réponses possibles parmi lesquelles une notation favorable dans un guide touristique, la rubrique les incontournables des sites Web dédiés à la région concernée, des photos géotaggées sur Instagram, etc. Il y aussi, mais il faut y voir une passion saugrenue que peu comprennent, la lecture scrupuleuse et chronophage des cartes IGN, toutes échelles confondues, à commencer par mes préférées, les TOP25, où un centimètre sur la carte représente 250 mètres sur le terrain, autant dire qu’il y a du détail. Je lis ces cartes comme d’autres dévorent des romans ; les villages sont des personnages liés entre eux par des routes de moindre importance et éloignées des grands axes, la topographie affiche ses courbes de dénivelé, parfois espacées et la pente est douce, parfois comprimées et la rampe est sévère, l’histoire de lit dans les chemins de randonnées, habillés de rose, pleins ou en pointillés, qui tracent des parcours qui stimulent les semelles. J’aime par-dessus tout faire la connaissance, fut-elle cartographique, d’une toponymie improbable.
Cette fois, mon œil s’est arrêté sur une éminence qui porte le doux nom de Truc de Fortunio, truc signifiant gros caillou, ou rocher massif, en occitan. Ce sommet de la Margeride culmine à 1552 mètres mais une rapide escalade vers la table d’orientation nous hisse au-delà des 1600 mètres. Autre aspect, et c’est principalement ce qui m’a conduit à emprunter un chemin sur lequel les 4×4 se régalent mais où les vans se pilotent avec le doigté d’un chirurgien quand il opère à coeur ouvert, ce sommet offre un panorama à 360° absolument phénoménal qui permet de voir le mont Mézenc, le mont Gerbier de Jonc, et plus loin le Mont Blanc (aujourd’hui difficilement visible en raison des brumes d’orage), le mont Lozère et dans notre dos les monts du Cantal.
L’impressionnant relais de télévision confère aux lieux un aspect fantastique, de l’ordre de ce feuilleton qui me foutait une trouille bleue quand j’étais gosse, L’île mystérieuse. Le vent apportant son lot de frimas, nous sommes descendus de notre promontoire pour gagner ensuite le lac de Charpal, prochaine étape de notre journée.
Ce lac est la réserve d’eau potable de la ville de Mende, il est alimenté par la Colagne, une petite rivière qu’on enjambe à l’aide d’un pont lorsqu’on effectue, comme nous l’avons fait ce matin, la randonnée qui en fait le tour, une balade de près de neuf bornes, plate, à l’abri des sapins et par des tourbières qu’on franchit à l’aide de passerelles en bois. Car ce lac est aussi une formidable réserve naturelle, où les plantes aquatiques et la faune (bonjour la vipère qui nous est passée devant) sont protégées et respectées. On en fait le tour en deux heures de promenade, on en prend plein les yeux et après l’infiniment grand du point de vue depuis le Truc de Fortunio, on apprécie l’infiniment proche des racines qui émaillent le trajet, du clapot des vaguelettes et de la stridence accueillante des oiseaux forestiers.
La suite est un road trip d’une petite heure qui nous a vu passer par le sublime Causse de Montbel depuis Laubert, puis croiser quelques grands noms du Chemin de Stevenson : Le Bleymard, Chasseradès, La Bastide Puylaurent ; le van filait doux, fayotant les limitations de vitesses pour admirer le paysage, et nous voilà à Prévenchère, au bord du Chassezac, un ruisseau teigneux qui dégringole entre deux barrages et dont nous admirerons les gorges demain ; y mettre les jambes jusqu’aux genoux en fin de journée a immédiatement fait chuter ma température interne mais, le temps d’un rayon de soleil, ondoyant tel un roseau soumis à la détermination du courant, en équilibre sur des galets sournois, je me suis pris pour Brad Pitt dans Et au milieu coule une rivière. La canne à pêche en moins, l’air béat en plus.