Le Mont Bessou, le retour
C’est au lac de Viam que j’ai décidé de rentrer, non que ce lac du plateau de Millevaches soit inhospitalier, il est au contraire d’un calme et d’une sérénité particulièrement profitable et j’ai déjà coché son emplacement sur la carte pour y revenir plus tard, en passant notamment quelques nuits au camping, avec ses terrasses qui surplombent une plage et un rectangle d’eau surveillé qui permet à chacun de se rafraîchir.
Au matin, la température était descendue sur Argentat-sur-Dordogne : quinze degrés de moins que quelques heures plus tôt ; la nuit avait repris le commandement et imposé son naturel auvergnat. Pour autant, je ne savais pas encore de quoi serait faite ma journée, si j’allais rester à me reposer -les premiers signaux physiologiques n’étaient pas mauvais-, si j’allais partir marcher depuis le van, si je devais réveiller le van afin de rouler plus au nord comme je me l’étais dit la veille. Un aller-et-retour vers les lieux d’aisance, distants d’une dizaine de mètres, m’a convaincu de bouger, de quitter cette foule qui se réveillait doucement dans le calme imposé par une nuit unanimement réparatrice, mais foule quand même, ce que je n’étais pas venu chercher. La carcasse, sans être remise à zéro, avait apprécié la journée de simili repos de la veille et j’avais des fourmis dans les jambes et des envies d’aller voir ailleurs si j’y étais.
La route qui mène vers le plateau de Millevaches longe la Dordogne pendant de longs kilomètres. Les fenêtres du van grandes ouvertes, autant pour achever de me réveiller qu’afin d’aérer mon intérieur, j’ai roulé avec un sourire béat en direction d’Egletons, apercevant par instants, dans des courbes abordées avec rondeur, les eaux calmes du fleuve qui serpente dans la vallée. J’avais repéré un point de vue remarquable, identifié sur la carte IGN par cet éclat rose qui saute aux yeux et qui, moyennant une courte marche depuis un parking, promettait une vue imprenable sur les méandres de la Dordogne. Je m’y suis faufilé, découvrant au passage des maisons blotties comme autant de gemmes à maintenir dans l’anonymat ainsi qu’un village microscopique où pourtant rien ne manque, de la mairie à l’église, passage obligé pour atteindre le parking du Roc du Busatier, puis descendre jusqu’à la stèle qui honore des maquisards et en prendre plein la vue depuis le belvédère. On peut descendre plus bas, beaucoup plus bas, et admirer des jardins, mais descendre c’est remonter ; il était bien trop tôt et j’avais d’autres ambitions.
Je suis arrivé au Mont Bessou en fin de matinée, non sans me dire que ce plateau, si l’on y croise pas forcément mille vaches dans la journée, est de ces beautés renversantes qui imposent qu’on y retourne pour le simple délice d’être séduit. Plus haut sommet de la Corrèze avec ses 977 mètres d’altitude, le mont est rehaussé d’une tour panoramique qui permet d’atteindre en 148 marches le kilomètre au-dessus du niveau de la mer. De là-haut, on contemple le massif du Sancy et les monts du Cantal qui n’ont jamais semblé aussi proches.
Construite au début du millénaire, la tour domine une prairie qui fut ravagée par la tempête de décembre 1999 et qui désormais offre un point de vue exceptionnel sur les étoiles à ceux qui s’allongent dans un transat afin d’y guetter les perséides ; cette plaine légèrement en pente, comme d’autres endroits sur le plateau, est protégé des pollutions lumineuses ; rendez-vous est pris pour y passer une nuit en famille.
Depuis la tour, j’ai pris un chemin de randonnée fort mal indiqué, puis j’ai renseigné un couple de Wallons qui galérait à trouver l’accès et me suis enfoncé dans la forêt pour entamer une balade rendue agréable par la fraîcheur des Douglas qui, bien qu’agglutinés à l’excès, laissent parfois percer un rayon de soleil. J’ai de nouveau joué les guides de rando pour un quatuor de sexagénaires qui, carte en main, voulaient se rassurer sur le chemin à prendre -encore une fois, la signalétique est déplorable, surtout quand on la compare avec celle du Puy-de-Dôme et du Cantal, terres respectueuses des marcheurs-, puis j’ai entamé le chemin du retour en quittant le parcours classique -dont j’avais de toutes façons manqué une bifurcation- pour remonter vers le mont en coupant dans la forêt. J’ai escaladé la rampe en titubant parmi des murs de fougères qui faisaient bien ma taille, enjambé une première barrière puis une seconde, pour gagner un chemin forestier où seul m’accompagnait le pépiement d’oiseaux qui m’étaient inconnus. Emprunter des chemins noirs, ces chemins loués par Tesson où l’on ne rencontre personne et qui procurent un bref frisson tant on ne sait s’ils mènent vers la fin de l’étape ou vers un cul-de-sac, procurent une sensation toute particulière, propre à hausser le niveau de nos modestes péripéties.
J’ai ensuite pris la route vers le lac de Viam avec, pour m’accompagner pendant ces quelques minutes, la petite voix intérieure qui me disait qu’il serait temps de rentrer. Un bref coup d’œil à la plage et au camping dans son écrin, et je me suis posé dans le van pour déjeuner et m’ausculter ; la fatigue n’était pas rédhibitoire et je pouvais envisager les quatre heures trente de route, et au besoin m’arrêter pour une sieste, de surcroît je n’avais plus envie de marcher mais très envie de retrouver les miens. La suite n’est que podcasts, kilomètres et embrassades.