C’est donc un mardi matin en cette fin du mois de juillet que nous avons pris la route pour le premier d’une longue suite de sauts de puce (celui-ci demandait quelque trois heures de trajet, ce qui sera sans doute une limite), en direction du domaine de Chaumont-sur-Loire, étape presque imprévue, ou alors décidée il y a quelques mois mais sans lui donner de date précise, tel un repère sur le plan au cas où on passerait par-là, une étoile sur la carte en cas de périple sur cet axe fluvial marqué par des châteaux mondialement connus (Chenonceaux, Azay-le-Rideau, Chambord), afin de découvrir des jardins que des connaissances avaient évoqués à plusieurs reprises.
Le domaine de Chaumont-sur-Loire promet une intimité entre art moderne et horticulture ; un espace est actuellement dédié à un concours où des artistes (philosophes, écrivains, poètes), des jardiniers et des paysagistes ont œuvré en commun afin de proposer des installations végétales ayant pour thème la résilience, capacité éprouvée autant par les espaces naturels en ces périodes de sécheresse et d’aggravation des changements climatiques que par votre serviteur actuellement en proie à une violente envie d’aller dire le fond de ma pensée aux parents d’un môme qui ne cesse de pleurer quelques emplacements plus loin alors que la nuit tombe sur notre camp de base ; sans doute le fait de ne pas bredouiller un mot de néerlandais autrement qu’en les caricaturant m’empêche d’une telle démarche.
Comme je l’avais déjà précisé à l’issue d’une mini randonnée sur l’île du lac de Vassivière où au gré des contours du rivage apparaissent par endroits des installations d’art contemporain, je n’ai pas les codes pour comprendre les intentions des artistes rédigées sur des cartels plus ou moins explicites mais parfaitement sincères.
Les projets végétaux qui composent l’exposition principale des jardins du parc de Chaumont ne m’ont pas aidé à percer les intentions profondes de certains artistes ; seule la beauté des projets me parlait et c’était sans doute l’essentiel, de plus ils ont contribué à faire des naître des envies fortes d’améliorer, même modestement, notre jardin, certainement pour m’isoler davantage du reste du monde en parsemant les trois cents mètres carrés de végétation (du fouillis à l’anglaise, évidemment, on ne se refait pas) ainsi que notre véranda que j’aimerais désormais transformer en jardin d’hiver, avec plantes et mobilier idoine.
Nous sommes partis du domaine, non sans avoir visité le château qui propose de nombreux salons et chambres ainsi que des oeuvres d’art, puis les écuries qui ont gardé les traces de leurs anciennes fonctions -depuis les boxes pour des chevaux dont les patronymes visibles sur les plaques restaurées évoquent des pur-sangs de haute descendance bien plus que les canassons du tiercé à Vincennes, jusqu’aux carrioles d’époque (landau, omnibus, victoria, vis-à-vis) entreposées sans ostentation- mais qui désormais abritent, là encore, des installations d’art contemporain.
Après un vaste et dernier jardin qui nous donnait l’opportunité de nous dégourdir les jambes après avoir beaucoup piétiné, et alors que de lourds nuages grondants laissaient filtrer leurs premières gouttes, nous avons pris la direction de notre première halte en bord de Cher ; une trentaine de kilomètres plus loin, intégralement effectués sous une mousson qui ne laissait aucun répit dans la conduite.
Au réveil, sous un soleil éclatant, le Cher avait gardé son flot indolent et nous sommes partis en direction de Sancerre, village de vieilles pierres niché au sommet d’un piton qui domine la Loire et qui, depuis une esplanade panoramique permet de distinguer au loin les premières hauteurs du Morvan ; c’est ici qu’il y a trente-deux ans, j’avais pris une très belle photo ; nous avons retrouvé le banc et un peu de nostalgie. Quelques agapes locales autour des crottins de Chavignol, l’achat de deux bouteilles qu’il eut été impardonnable de ne pas se procurer, puis nous sommes repartis par les routes sinueuses, souvent désertes, hors des axes principaux, afin de nous poser à Avallon ; ville dont le nom évoquera pour certains (à condition qu’on l’orthographie avec un seul L) les forges d’Excalibur ou le sanctuaire de la fée Morgane, et pour d’autres dont je fais partie la scie intemporelle chantée par ce crooner désabusé et gentiment niais qu’est Brian Ferry.
Il est tard, le jeune Batave s’est tu et les étoiles sont apparues au-dessus de mon écran. Il est temps de retrouver les miens qui entament leur nuit.