Le lac de Bourdouze
Je craignais une obscurité délicate, pluvieuse et grondante mais vers le milieu de la nuit quand il s’est agit de sortir du van afin d’arroser les taupes -j’avais éclusé des litres de flotte dans la journée-, la voûte était magnifiquement étoilée, silencieuse et ô combien céleste. Au matin, malgré un sommeil réparateur, la carcasse grinçait encore un peu et c’est d’un pas cahotant que je me suis rendu à la douche et à l’évidence, deux lieux irrémédiablement liés qui me murmuraient que cela irait mieux après et que cela requinquerait mes envies d’ailleurs.
J’ai donc levé le camp pour me transporter de l’autre côté du Mont-Dore, au col de la Croix Saint-Robert ; les quatre puys du massif adventif ( Angle -1738m-, Barbier, Monne et Tâche) me provoquent depuis quelques années. Sur place, une fois garé sur un parking habituellement saturé de véhicules mais ce matin presque désert, je n’ai pas hésité très longtemps. Au loin, le Sancy avait la tête dans les nuages, des bourrasques de vent déferlaient façon Pointe du Raz et la température avoisinait un début avril. J’ai imaginé quelque chose de plus modeste que la balade sur l’adventif, un aller-retour vers le roc de Cuzeau, mais j’ai vite compris que je n’étais pas le bienvenu. J’ai effectué un 360° pour me rassasier du paysage, un simple au revoir ; ces crêtes sont là depuis des millions d’années, il est peu probable qu’elles se carapatent de mon vivant.
Quelques courses rapides parmi les humains en vacances, et direction le Cézallier, un des plus beaux endroits au monde dès lors qu’on aime la solitude des horizons à perte de vue, les routes sinueuses et les steppes façon tatares. Quelques kilomètres après Besse repose le doux lac de Bourdouze. Je n’avais pas l’intention de m’y arrêter, mais instinctivement je me suis garé, pas l’intention de marcher trop loin, puis j’ai crapahuté environ dix bornes.
Le chemin longe le lac – il y avait un bruit de clapot comme en bord de mer- puis il lèche une forêt ; une percée au sein des conifères nous fait pénétrer dans un autre univers sonore. J’ai posé le micro sur une souche, les bestioles qui m’observaient, plus ou moins grandes et parfaitement invisibles, devaient trouver curieux cet animal à poils gris qui ne bougeait pas.
Pendant l’enregistrement de ce son, j’ai repensé à l’interview de PJ Harvey qui expliquait à Michka Assayas sur Inter qu’elle avait capturé des sons dans sa campagne du Dorset avec un Zoom, le même micro que celui qui finissait de capter le son de la forêt.
Plus loin, à un carrefour, une épiphanie. Modeste, certes, mais réjouissante. La scène : à gauche, un entrelacs de vicinales qui remontent au parking où m’attend le van ; j’avais décidé de prendre cet itinéraire afin de rentrer plus vite. Pourquoi cela, je l’ignore encore. A droite, une route et très vite, selon ma carte, un chemin de randonnée qui rallonge le parcours. J’ai entamé la route de gauche puis, un peu à la manière d’un Raymond Depardon qui pour son livre de photographies intitulé Errance avait comme but unique de se perdre et de se demander “Qu’est-ce que je fous là ?”, j’ai dit – à haute voix, que je n’avais pas entendue depuis longtemps- : “Mais bordel, t’es venu là pour ça !”. Et j’ai pris à droite, sans trop savoir combien de temps -un concept de plus en plus flou- cela allait me demander de revenir à mon point de départ.
Le reste n’est que rencontres, avec un passage en tourbière où j’ai pu tester l’efficacité du Gore-Tex de mes chaussures, avec deux clébards au début mignons et craintifs puis très vite très bruyants et finalement très proches d’un coup de bâton car trop près de mes mollets à mesure que j’approchais de la ferme, enfin un père et son jeune fils, chacun marchant et poussant un vélo sur une pente trop raide ; le regard du gamin m’a rendu triste et je sais d’ores et déjà qu’il en voudra plus tard à son père de l’avoir dégoûté de la bicyclette ; un père passablement perdu qui montrait du doigt la forêt d’où je venais, bout du monde inatteignable pour son môme.
Ensuite, descente vertigineuse dans un bois -le gosse venait de là, quelle tristesse-, sorte de piste noire sur tapis d’épines de pin, puis remontée vers le hameau d’Anglard et une dernière pente -comme hier, absolument perverse car bien planquée dans la beauté du paysage- vers le point de départ. Un bref arrêt pour enregistrer le son des cloches que des salers agitaient en broutant une herbe folle et j’étais de retour.
Mon van bien aimé m’attendait sagement, en pleine conversation avec deux camping-cars qui l’avaient collé et pas qu’un peu : il n’y avait pas cinquante centimètres entre la porte coulissante du Calif et le gros blanc moche. Cerise sur le gâteau, un groupe électrogène ronflait sans gêne, enterrant mes envies de brunch avec vue sur le lac. Alors, marche arrière, et direction Laveissière, via La Godivelle, Marcenat et Allanche ; j’ai revu la chapelle Notre-Dame de Valentine, qui surplombe la vallée des Prades et nous nous étions arrêtés pour déjeuner, il y a deux ou trois ans. Sur la route, peints à la va-vite, les noms de coureurs du tour de France, passés par là quelques jours plus tôt.
A Laveissière, le camping est étendu sur un ancien terrain de foot, selon la mi-temps mon emplacement est soit arrière gauche, soit ailier droit. Mais pas question de gambader après un ballon, depuis mon arrivée, il ne cesse de pleuvoir des hallebardes. C’était prévu, mais cela reste impressionnant. A l’intérieur du van, dans mes 6m2, c’était comme essuyer une tempête dans un chalutier au large d’Ouessant. Quand je pense que j’ai un pass qui me permet d’aller à la piscine municipale juste au-dessus. Demain est un autre jour.